En route pour Thiaumont - Cinquième partie

Publié le par journaldeguerre14-18.over-blog.com

Après le bois de Chaume où nous avions repris le souffle et quelque courage, si on peut dire, ce fut pire encore. Car dans les défilés que nous trouvions et qui étaient d'anciennes tranchées, nous marchions sur des cadavres et nos pieds s’enfonçaient à la fois dans la boue et dans les corps qui en étaient recouverts. En toute vérité, nous venions relever les morts.

 

La tranchée des Zouaves gardait quelques parapets et d'anciens éléments d'abri, trous plus profonds, mais inhabitables. Mon commandant de compagnie s'était établi près de l'un d'eux et c'est dans ce PC en plein air que nous passâmes jours et nuits dans le froid et la garde vigilante. Comme toujours, les lignes trop rapprochées étaient moins soumises aux bombardements que leurs abords, tout déplacement étant plus particulièrement dangereux. Je n'en eus pas moins à conduire des corvées de soupe qui dans la nuit descendaient vers les carrières d’Hauduamont car la troupe ne pouvait rester sans nourriture. J'y fus plusieurs soirs de suite. Cela en somme dégourdissait les jambes... et surtout le danger était compensé par la soupe chaude que l'on pouvait manger auprès des cuisines roulantes, camouflées en cet endroit autant qu'elles pouvaient l'être. Le bien-être et le réconfort en valaient la peine.


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La beurée

 

L'un de ces soirs-là, nous revenions avec nos marmites pleines et les bidons de jus et de pinard quant un barrage se déclencha. Nous contournions les ruines du fort de Douaumont et tout à coup, nous fûmes englobés dans un véritable feu d'artifice d'obus et de fusées de toutes les couleurs qui semblaient nous poursuivre. La canonnade atteignant un dépôt y avait mis le feu et ce fût à la fois une pétarade et une illumination qui provoquèrent un sauve-qui-peut général des poilus de ma corvée cherchant à se protéger. Adieu hélas la soupe chaude que nous rapportions, car les marmites avaient culbuté dans la course. Il y eut plus de peur que de mal. Il fallut ensuite regrouper et reconnaître les points de repère d'un itinéraire difficile pour ne pas nous égarer chez nos voisins d'en face. Nous y sommes parvenus mais ça n'a pas été sans une certaine déception que nous fûmes accueillis. Du moins rapportions-nous les boules de pain et les bidons... et est certain que nous aurions fort bien pu ne pas revenir.


60a.jpgAdjudant ?

 

Nous fûmes attaqués au petit matin. Dans le brouillard et sans préparation préalable nous vîmes surgir une ligne de fantassins précédés par des « flamen-werfer ». Réservoir accroché dans le dos, à la place du sac, des hommes tenant un tuyau dans les mains projetaient des jets de flammes. Notre fusillade se déclencha et je vis un allemand dont le réservoir avait été atteint s'enflammer comme une torche et s'effondrer en cendres m'a-t-il semblé, car il n’en restait rien. Donnant ses ordres pour repousser l’assaillant à coup de grenades, mon commandant de compagnie me faisait lancer des fusées avec mon tromblon V.B. adapté sur le canon du fusil pour appeler l'artillerie. La réponse ne se fit pas attendre cependant qu'un jeune fou héroïque, le soldat Lapart, nouveau venu de la classe 17, grimpait sur le bled en entonnant la marseillaise. Il devait s'en tirer... et moi aussi peu de temps après. J'avais près de moi une caisse pleine de grenades et je continuais à lancer mes fusées quand un obus que je n'entendis pas venir percuta la caisse et fit tout exposer. Le souffle sans doute m'avait projeté à terre et fait glisser dans le trou de l'abri voisin. Abasourdi sur le coup, je me relevais sans une égratignure. Les éclats étaient passés au-dessus de ma tête. Je n'entendais plus rien tandis que le lieutenant qui lui aussi l’avait échappé belle s'inquiétait de mon état. M’aidant à reprendre conscience, il me versa dans son quart une grande rasade de « gnôle » avalée d'un seul coup et qui me remit d’aplomb. L'attaque allemande avait été stoppée et le calme se rétablit.

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