En route pour Thiaumont - Quatrième partie

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Et je pus avec fierté arborer la Croix de Guerre.


57c-copie-1.jpgExtrait du Livret matricule de Bon-Papa

 

Nous sommes remontés à Verdun près d'un an plus tard. Entre deux enfers, nous avons occupé des secteurs plus calmes, situés en Champagne, dans la région d’Aubérone puis à la butte de Tahure. On y mena, si on peut dire, la bonne vie. J'avais à m'occuper des questions d'intendance... corvées de soupe, distribution de pinard et de matériels. Pour les paperasses journalières, le sergent major dénommé par mois « Tatave, la terreur des Boches » secondé par un pointilleux sergent fourrier Yver, instituteur comme le précédent... suffisaient à la tâche.

 

59c.jpgOn va en jeter un coup - Tatave

 

58d

Sergent-fourrier Yver

 

Les bureaux de la compagnie disposaient d'un abri convenable avec le téléphone relié au PC des officiers et une table de travail. Quant au papier qui m’était gratuitement fourni..., il servait à mes croquis, caricatures sinon à dessiner les menus de quelque bombance prévue pour le prochain repos. On en faisait des tirages à plusieurs exemplaires. Sur l'un d'eux que je retrouve (car les dessins ont une origine authentique), j'avais figuré l'adjudant Chassan qui avais reçu la Médaille militaire après sa courageuse conduite à Thiaumont, l'adjudant Coignasse, un titi parisien, et mon sergent major.

 

54aSous-Lieutenant Chassan

 

Il apparaît qu'on ne mourrait pas de faim dans les grands jours à la popote des sous-officiers de la 21ème compagnie. Car j'y relève les plats désignés avec un humour de circonstance !

 

-         la souposky à la Broussilov,

-         le canadian tommies Rosbeaf,

-         les haricots filandreux,

-         les pommes soufflées au chalumeau,

-         les prunes d’ente « Alighieri »,

-         gaufrettes « grisettes » sur canapé.

 

Et parmi les vins : pinard, clas populaire, clairet high life, thorins, champagne pouilleux ! ! ! Et bien sûr, jus et liqueurs fortes.

 

59b--original-59a-.jpgMenu du 221ème Régiment

 

C'était quand même la guerre avec ses marmitages généralement modérés mais ses coups de main intempestifs. Je me souviens de l'un d'eux, par un beau soir d'été qui pourtant n'annonçait pas la tempête. Mon grand frère Joseph, devenu sous-lieutenant, commandait une section dans une compagnie voisine et en liaison avec la nôtre. Je connaissais son PC où de temps à autre, j'allais lui rendre visite. Un bombardement violent s’étant déclenché soudain sur notre gauche, je ne tardais pas comprendre où se déroulait la bagarre et tandis que notre artillerie alertée s'était mise à répondre, je vécus plusieurs heures d'inquiétude. À la nuit tombante, le calme s'étant rétabli, je parcourus les boyaux que je connaissais bien et j'arrivais dans les tranchées bouleversées. La section avait repoussé l'attaque, mais des blessés gisaient sur des brancards devant le poste de secours. Je poursuivais mon chemin vers le PC, quand bienheureux soulagement, je vis apparaître mon grand frère se démenant parmi ses poilus. Ceux-ci, la pelle à la main, redressaient leurs parapets effondrés et réparaient les dégâts. M’ayant aperçu, furieux de mon escapade imprudente et ayant d’autres choses à faire, je fus assez mal accueilli : « veux-tu foutre le camp... ». Telle fut notre rencontre fraternelle. Mais j'en avais assez vu. Il était vivant et je revins rassuré.

 

Dans ces secteurs relativement calmes, malgré les coups de boutoir, nous recevions de temps à autre la visite d'officiers supérieurs ou généraux et plus souvent celle de l'aumônier qui, gardant toujours le contact avec la troupe, apportait la communion à ceux qui voulaient la recevoir. Je n'en manquais jamais l'occasion. Sans respect humain, ni plus longue préparation, les hommes à genoux dans les tranchées ou leurs abris, acceptaient volontiers de bénéficier de ce réconfort.

 

Il me faut ici évoquer le souvenir du colonel Roob qui commandait le régiment. Grand, maigre, cheveux et barbiche blanche taillée à la chinoise, il paraissait âgé et on le surnommait grand-père. Marchant à grandes enjambées, costumé plus ou moins de travers, il n'affectait aucune coquetterie, mais n'était pas moins sévère dans la tenue des hommes. C'est ainsi que j'avais suivi sa silhouette lors d'un séjour dans un village de l'arrière. Je n'ai pas eu l'occasion de l'approcher directement mais ses officiers qui l’aimaient bien lui avaient montré la caricature que j'en avais faite. Je n'ai pas gardé le souvenir de sa réaction. Il devait d'ailleurs avoir d'autres préoccupations puisque quelques jours plus tard, le régiment était une nouvelle fois embarqué pour Verdun.

 

61aColonel Roob

 

C’est en novembre 1917 que nous avons été replongés dans l'horreur de la Grande Bataille et connus les derniers soubresauts de la colossale offensive que les Allemands n'avaient pas réussie à rendre victorieuse. Le général Pétain portait la responsabilité comme il porte la gloire d'avoir sauvé Verdun. Chargé de coordonner tous les efforts pour contenir la pression exercée et de rétablir une situation compromise par la surprise (criminelle dans ce secteur jusqu'alors trop négligé) des premiers combats, il avait d'abord rétabli le moral défaillant du troupier qui avait cédé sous l'avalanche puis organisé une résistance acharnée. Il réussit dans sa lourde tâche grâce à la froide ténacité mais aussi au courage et à l'abnégation des poilus qui vécurent là un véritable calvaire. Lors du premier séjour que l'on fit en avril 1917, la 60ème division qui comprenait outre mon régiment, le 225ème, les 202, 247 et 248ème régiments d'infanterie, s'était trouvée à l'extrême pointe de l'avance allemande en direction de Verdun. Sur 9000 hommes engagés par la division, 88 officiers et 3232 hommes avaient été mis hors de combat. Je trouve ce renseignement dans l'ouvrage de J.-H Lefebvre : « Verdun, la plus grande bataille de l'Histoire » qui m'a permis de mieux préciser mes souvenirs.

 

En novembre 1917, nous venons occuper les lignes récupérées par l'avance française du mois d'août entre Samogneur, Beaumont et Begonveaux. L'ouvrage de Thiaumont où nous nous étions battus, ainsi que les forts de Douamont et Vaux qui ont été repris (et ne sont plus que des ruines), sont en arrière de notre actuelle position, au bois des Courrières, qui n'a plus de bois que le nom, car le terrain est totalement rasé et ne comprend qu'un chaos de trous côte à côte. Nous prenons position dans la tranchée des zouaves. C'est ainsi qu'elle est pour moi désignée et j'apprends que cette troupe d'élite qui nous avait précédé dans ce secteur avait bien mérité d’y laisser son nom. Nous avions auparavant marqué un arrêt dans le bois de Chaume dans un abri subsistant. J'en ai conservé un croquis ainsi que le souvenir du moral assez bas des poilus qui fredonnaient sur l'air cafardeux inspiré par « Craonne » au Chemin des Dames :

 

« c'est à Verdun sur le plateau,

qu'on va laisser sa peau...

 

L'impression ressentie en était profondément sinistre d'autant plus que la montée jusque-là avait été horrible, sous le feu des barrages. J'avais entre autres, dépassé un pauvre type de la compagnie qui, camouflé contre le parapet d'un boyau, tremblait de tous ses membres et pleurait. Il ne voulait pas aller plus loin et un officier au passage le menaçait du Conseil de guerre !!! Il fallait se raidir contre la peur et suivre quand même, mais des vides se creusaient dans les rangs, des hommes tombaient, morts ou blessés, et on continuait le chemin du Calvaire.

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